P'ti papier sympa de l'équipe d'aujourd'hui sur les français de l'ESAKE, dans lequel Mr Magoo fait la part belle...
Dans une galère grecque
Les Français du Championnat hellène (Amagou, Yango) découvrent un univers surprenant
avec ses salles vétustes et ses irrégularités de salaire.
TRIKALA – (GRE)
De notre envoyé spécial
EN CE SAMEDI SOIR,
veille de match, c’est la tête dans le seau que les joueurs de Kavala débarquent à leur hôtel à quelques kilomètres de Trikala, en Grèce. Six
heures de car… dont quarante minutes pour faire les 800 derniers mètres.
« La route d’accès était trop petite, on ne passait pas. Mais c’est normal,
c’est la Grèce ! », sourit Pape-Philippe Amagou, débarqué il y a quelques
mois dans l’exotique Championnat hellène. Ils sont ainsi quelques Français à avoir fait le choix de la ligue ESAKE, dont les têtes de gondole, le Panathinaïkos et l’Olympiakos, règnent sur l’Europe mais qui pour le reste semble vivre dans un autre temps. Le lendemain, c’est le choc des promus avec deux Français sur le parquet : Amagou, double champion de Pro A avec Le Mans et Nancy, et Guillaume Yango. Le contexte est assez surréaliste, le théâtre des débats encore plus. À Trikala, à quatre heures de route d’Athènes, on joue ainsi au basket dans un hangar au nom presque pompeux: leDimotiko Stadio, 1 500 places à tout casser, des tags de haut en bas, des murs de tôle, pas de gouttière et un véritable marécage après deux jours de pluie continue. La minuscule porte principale vous pousse directement sur le parquet, la buvette s’enfonce dans le couloir des vestiaires et l’interdiction de fumer dans la salle ne semble concerner que les joueurs. L’improbable arrive même aux oreilles : Voyage, voyage, le tube de Desireless sorti dans les années 1980, est poussé à fond dans la sono au
moindre temps mort. Amagou écarquille encore les yeux. « À Kavala, on a
une toute petite salle de 2 000 places, mais c’est Bercy à côté de ça ! C’est
finalement ça, le Championnat grec : un mélange de structures qu’on ne
peut pas avoir en Pro A et d’autresqu’on n’accepterait même pas en
Nationale 1. » Le match est lui aussi un vrai folklore. Les coups de sifflet alternent mauvaise foi et compensation, des objets volent à la moindre contrariété et il faut même l’arrivée de policiers pour calmer quelques excités occupés à bouger le panneau visiteur durant les lancers francs.
« Ce n’était pas un choix de venir en Grèce, et encore moins à Kavala,
assure Amagou. J’avais envie d’aller à l’étranger, les offres manquaient au
mois de septembre, alors j’ai foncé. »
Yango hésite aussi à assimiler son arrivée chez la lanterne rouge Trikala, il y a un mois et demi, à une réelle étape dans son plan de carrière. « Il fallait
que je change d’atmosphère, avoue t-il. Je suis ici pour me relancer. C’est
juste pour finir la saison, pour survivre, quoi, sinon je ne pense pas que… »
Amagou : « Pour le salaire, il faut se bagarrer » Amagou, qui n’avait connu que la France, va quotidiennement de surprise en étonnement. « Notre kiné, ce n’est pas le meilleur du monde ! Le staff médical n’est pas au point non
plus, il y a beaucoup de retard, de laisser-
aller. À Nancy, on t’emmène tout de suite chez un podologue ou un dentiste, ici j’attends toujours… »
Économiquement, le choix des Français peut aussi interpeller. Comme
dans nombre de pays de l’Est, les faillites et les impayés se succèdent en
Grèce. « Il faut se bagarrer tous les mois pour son salaire, lâche presque
résigné Amagou, dont le club a été créé en un mois et demi au début de la
saison. En France, c’est carré. Ici, il y a toujours du retard, jusqu’à vingt jours chaque mois. Ça en devient presque hallucinant de se dire “J’ai la chance d’être payé…” »
Jeune, le meneur français a sans doute mieux accepté cette situation qu’Alain Digbeu, lassé de la situation et parti de Kavala début janvier. L’international Mamoutou Diarra vit lui aussi une situation compliquée au PAOK Salonique, qui s’est déjà séparé de plusieurs étrangers.
Sous contrat pour un an, Amagou laisse bien entendre qu’on ne l’y prendra
plus mais voit aussi le bon côté des choses. « Partout où j’irai plus tard, ça
sera forcément plus facile. Et puis, au niveau du jeu, tu apprends aussi beaucoup.
Amara (Sy, à l’AEK Athènes la saison passée) m’avait dit que c’était
du rugby, il ne m’avait pas menti. À force, on ne regarde même plus l’arbitre parce que, si on ne te casse pas le bras, il ne siffle pas. Je suis en
train de gagner en dureté et en mental.»
Ce soir-là, Kavala s’incline dans les dernières minutes, laissant à Trikalaun
mince espoir de maintien. Les numéros dé téléphone échangés, une poignée
de main, Yango et Amagou repartent, sous la pluie, chacun dans leur galère.
Le car visiteur attend déjà. Retour prévu à Kavala à 3 heures du matin…normalement.
NICOLAS ROUÉ
Source L'équipe